Yama – Aparigraha

Nous voici rendu au dernier Yama listé par Patanjali dans les Yoga Sutras : Aparigaha. Au sens étymologique le mot sanskrit est composé du préfixe de négation a, de pari « de tous les côtés » et graha « saisir », « pendre ». Il peut être traduit par « ne pas prendre plus que nécessaire » ou encore l’absence de cupidité. Il s’agit de ne pas accumuler les possessions.

Cela s’applique tout d’abord aux possessions matérielles qu’il n’est pas recommandé d’accumuler de manière compulsive. En effet ce penchant peut avoir plusieurs effets négatifs. Premièrement, le fait de ne pas arriver à le satisfaire engendre de la frustration et mène à la convoitise et à la jalousie. Cela nous détourne donc d’Asteya et de la vraie richesse intérieure. Deuxièmement, la possessivité induit l’anxiété de perdre ses possessions et donc le besoin de les protéger. Ceci engendre la suspicion voire même la violence et nous détourne d’Ahimsa. L’accumulation matérielle demande beaucoup d’énergie au départ mais également à maintenir. Troisièmement, ces possessions finissent par ne plus apporter autant de plaisir, ce qui nous pousse à accumuler encore plus pour combler le vide que l’on ressent. Ce faisant on cultive le désir de posséder.
Aparigraha est la posture spirituelle de renoncement au désir de posséder, et pas forcément de renoncement au fait de posséder.

Cela ne s’applique pas uniquement aux objets mais également à la parole et à la pensée. Par exemple, désirer accumuler le temps de parole et attirer l’attention nous empêche d’être dans l’écoute, nous coupe de l’échange et finalement détourne notre propre attention. Tout comme le fait de toujours se comparer aux autres nous détourne de nous-mêmes et de nos réels besoins.

Le désir de possession crée de l’attachement : ce que l’on désire posséder finit par nous posséder. Nous fabriquons nous-même les barreaux de notre prison lorsque nous nous attachons aux objets, aux personnes, à notre image, à nos schémas de pensées, à nos émotions, à nos comportements… autant d’aspects constitutifs de notre égo. Aparigraha requiert le non-attachement et nous propose la liberté. La prise de conscience de la nature et de l’origine de nos chaînes nous permet de sortir de la prison de la possessivité pour redécouvrir notre état naturel de liberté. Ce lâcher-prise nous allège, simplifie notre vie et clarifie notre esprit. Nous sommes alors plus à l’écoute de soi et de l’Univers. Cela libère de l’énergie que l’on va pouvoir canaliser pour le travail spirituel, grâce à Brahmacharya.

A nouveau, précisons que renoncer à l’attachement ne signifie pas renoncer aux objets, aux personnes, au monde ou à nous-même. Il ne s’agit pas de fuite, d’indifférence ou d’obsession. Il s’agit de profiter pleinement de nos expériences sans chercher à les posséder, les retenir, les accumuler, les reproduire à l’identique.
Aparigraha propose de ne pas s’identifier à notre égo, aux objets des sens et au monde matériel. Cela permet de nous connecter à notre vraie nature, à nos vrais besoins et d’approcher la vérité du monde avec Satya.

L’attachement et l’identification nous rigidifient, nous coupent de la Vie qui pourtant nous offre un flux incessant d’expériences de conscience. Cela nous déconnecte de la Réalité et nous empêche d’évoluer.

L’amour possessif est également un attachement qui nous empêche d’approcher l’Amour inconditionnel (aimer sans posséder). La jalousie est la peur de perdre l’autre. Elle peut devenir une prison pour l’autre mais est essentiellement un emprisonnement de soi-même. Vouloir posséder l’autre, le figer, amène au final à le perdre soit en le dénaturant, soit en le faisant fuir.

Finalement le désir de posséder, l’attachement et l’identification à nos possessions sont liés à la peur. Ce sont des stratégies mises en place pour nous rassurer, nous sentir en sécurité face à la peur de perdre, la peur de l’impermanence, la peur d’être déçu, la peur du changement… et au bout du bout, la peur de la mort. Aparigraha propose de nous libérer de ces peurs pour redevenir légers, vivre l’instant présent et atteindre un état de confiance en soi et dans la Vie. Être plutôt qu’Avoir. Tout en étant assurés que l’Univers nous fournira au bon moment tout ce dont nous avons a réellement besoin.

Il s’agit de se désencombrer, d’observer et de dépasser nos attachements et notre personnalité égotique pour accéder à notre moi supérieur qui est hors du temps. Aparigraha prend alors une dimension supplémentaire car le Yogi devient de plus en plus conscient des impressions résiduelles laissées par ses vies antérieures, de ses attachements passés. Détaché du monde de l’impermanence, il étend son travail de déconditionnement et de transformation au-delà des expériences actuelles et travaille à faire ressortir ses empreintes karmiques résiduelles pour les dépasser. Ce faisant, il perçoit la logique temporelle de la loi du Karma et la manière dont elle pourrait conditionner ses vies futures.

Lorsque l’on est fermement établi dans Aparigraha, surgit la compréhension du pourquoi et du comment de la naissance.

Yoga Sutras II.39

Le Yogi doit cependant être vigilant à ne pas de nouveau s’attacher à ses vies antérieures et ainsi fuir la Réalité de l’instant présent où le travail d’épuration karmique se propose à lui. De même, le désir de prédire le futur n’est pas de mise : seul compte le futur potentiel dont il veut se libérer.

Terminons cet article sur quelques pistes pour cultiver Aparigraha sur et en dehors du tapis de yoga. Cela peut être par exemple de s’observer dans la pratique et de détecter l’envie compulsive d’aller dans la posture en se comparant aux autres (professeur, élèves, photos de magazines ou vidéos Internet). La posture parfaite est la notre et varie en fonction de notre état, du lieu, du moment. Se détacher de l’image que l’on a de la posture et du souvenir d’autres pratiques permet de l’aborder comme pour la première fois et de la redécouvrir à chaque fois avec émerveillement. Se libérer de l’attachement au désir de progrès dans sa pratique permet justement à celui-ci d’éclore naturellement tout en respectant Ahimsa.

On peut également travailler à se détacher du résultat de nos actions comme le propose le Karma Yoga et la Bhagavad Gita. Ou alors observer nos attachements pour en identifier la cause et s’en libérer de manière consciente. On peut aussi utiliser la voie du cœur et cultiver la générosité au quotidien pour établir dans notre vie un équilibre entre prendre et donner, pour se rapprocher de l’Amour inconditionnel.

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